Je n’étais pas « en présentiel » pour le vote. J’ai voté par sms, car dans leur grande modernité, les ACL sont dématérialisés et peuvent être suivis à distance pour qui dispose d’un smartphone.
Le vote du jour fut orchestré par Samuel à l’aide du jeu de cartes créé lors d’un précédent ACL (voir restitution « masse critique »).
Voter… On se prend au jeu puis on est toujours déçu.e et on se dit « mais pourquoi j’ai voté ça ? ». J’ai donc permis à « passage secret » de remporter le suffrage alors que mite-ou-mythe me plaisait aussi (voir le texte d’Agathe pour « masse critique »).
Sur les deux premières séances, nous avons passé pas mal de temps à décortiquer ce que nous évoquait le thème « passage secret ». Le thème s’avérait assez riche et l’espace dans lequel nous étions, la salle Magenta, inspirait déjà des idées.
L’idée est ensuite venue de faire vivre nos différentes propositions au sein d’un parcours, à travers la figure du train fantôme, proposée par Thomas.
De ma première vision du passage secret comme une sortie, une échappatoire, j’y ai agrégé d’autres et notamment celle du labyrinthe et la figure du mythe que Gaëtan avait évoqué (Ariane, Dédale).
#Mythou
Mes obsessions et interrogations du moment m’ont menées tout naturellement vers la figure de Dédale, l’Inventeur, le Démiurge qui incarne la Technè. Parce que j’ai été formée à un métier scientifique et technique de préservation d’artefacts humains, je m’interroge sur la technique et la transmission (passage du secret ;), perpétuation, vie) -ou pas- (perte, oubli, disparition), sur sa nécessité -ou pas-, sa nature, etc.
Le récit a donc une grande importance pour moi. Les histoires aussi, on m’en a beaucoup lu. Je me suis demandée à quoi pourrait bien ressembler le mythe de Dédale et d’Icare, au XXIè siècle.
A quelle sauce storytelling bullshit pourrait-on bien accommoder ces pauvres scories de notre vielle humanité ?
Tu ne voleras point
Et j’ai beaucoup volé. Mais surtout en rêve. Et je suis loin d’être la seule alors ça me plaisait bien de retrouver Icare et mes vieux souvenirs d’histoire de l’art avec le tableau de Brueghel, La chute d’Icare.
En voulant s’élever au dessus de leur condition humaine, Dédale et Icare se sont rendus coupables d’hybris, oh, ils n’auraient pas dû !
Il paraît que c’est le loisir préféré des français d’être enfermé. Moi ça ne m’étonne pas trop. Ça me parle beaucoup même ! Le labyrinthe est un symbole puissant qui peut résonner plus ou moins fort dans nos vies… bref, l’idée d’une mise en scène, la catharsis, tout ça tout ça, y avait de quoi faire un bon gloubi-boulga défoulatoire.
Car le monde se divise en deux catégories
Mais dans mon mythe 2.0, Icare ne voudrait surtout pas s’échapper par les airs. Non non non, pas fou le génération Y, il va pas écouter son vieux schnock de père qui veut l’envoyer direct au plouf !
Il voudrait s’échapper … en creusant. Car j’ai aussi pratiqué la spéléo, et pas qu’en rêve. Et j’ai adoré creuser ! (enfin, pas trop longtemps quand même).
Mais certain.e.s, plus malin.e.s que les autres, ont su avoir le pistolet chargé, voler et creuser en même temps ! De furieux cambrioleurs de banques ont défrayé la chronique en volant via un sous-terrain, le contenu des coffres de la Sté Générale de Nice. Allant même jusqu’à y déposer d’arrogants petits mots (« ni coup de feu, ni violence, ni haine… »).
Le gang des égoûtiers, le fric-frac du siècle en 1976 (vidéo INA)
D’autres choisissent résolument la méthode aérienne pour s’enfuir ou faire s’enfuir de prison. Trop facile avec Google maps et Google street view ! Tout comme le labyrinthe, le panoptique est resté furieusement tendance.
Réaliser des captures d’écran en gros plan des prisons de Rennes (des femmes en centre ville, des hommes à Vezin) ou du centre de rétention administrative (CRA) de Saint-Jacques-de-la-Lande, à côté de l’aéroport, ne pose aucune difficulté.
Si c’est gratuit, c’est toi le produit
Outils d’aliénation, outils d’émancipation, bref, de tout cela j’ai fait un gros paquet et ça tombait super bien, à quelques jours de Noël.
Mise en scène : Faire s’asseoir les gens. D’abord être en mode conte, la veillée, le coin du feu, la grotte, l’ancestral, le mythe quoi. Éteindre la lumière pour plonger le cercle dans le noir. Pour cela j’avais prévu d’être équipée de ma combi et casque de spéléo. Bon, j’ai gardé que le casque qui éclaire d’une flamme à l’acétylène.
Ensuite, commencer à raconter l’histoire de Dédale et Icare en mode conte classique raconté aux enfants. « Il était une fois, en Crète, heu, en Grèce… » Ne pas arriver à se souvenir, ne plus être très sûre de pas se tromper (ce qui m’arrive très souvent, mais qui est aussi le résultat de l’ externalisation massive de notre propre mémoire). S’agacer « P** mais c’est une histoire hyper connue !!! Arh, vous savez, lepassage secret, en fait, eh bein, c’était le ciel… ! Arh, je retrouve pas !… » Interroger le public : « quelqu’un a un smartphone, quelqu’un a Google, quelqu’un a Wikipedia ?! »
Rallumer la lumière. Enlever le casque de spéléo.
« Ah ça y est ! » Mettre un casque micro et passer en mode TED talks. Et si on n’a pas de video projecteur pour son power-point (comme ici), on rétrograde en mode paper board.
A la fin, faire visiter le DédaLabFab, « musée-boutique » dans lequel sont exposés des ailes imprimées, des outils, qui sont par ailleurs à vendre (absence d’imprimante 3D, prêtée au Qatar), des produits dérivés, etc. On peut ainsi y acheter des cartes postales, des chocolats en forme d’aile. NB : je n’ai pas eu le temps de faire des bougies, des savons et autres goodies qui fondent …
Merci <3 <3 à Camille, autrice du reportage photo.
Confortablement attablé.e.s à la brocante Alaska, nous nous étions livré.e.s au rituel mensuel de choix du thème, qui aurait pu être « Hit machine », mais non, au final c’est « sous-titre » qui remporta la mise.
« C’est bieeeeeenn, ça ! »
Ce qui se cache sous un titre est-il de même nature que ce qui se cache sous le langage ? Les petits coups de canifs que l’on porte parfois, pour un oui ou pour un non, les faux semblants, etc.
Si l’on soulève le coin d’un titre, trouve-t-on de la poussière ? Un sur-titre est-il confortable et molletonné, avec un chat qui ronronne dessus ?
Selon la définition, le sous-titre est « un titre secondaire (d’un ouvrage, d’un journal, d’une revue, d’un article de presse, d’un texte), placé après le titre principal, souvent en dessous et servant à préciser le sujet. »
En littérature, comme dans la hiérarchie parfois, le titre a plus d’importance, plus de c(l)asse ! Mais son sous-titre enrichit, livre des clefs de compréhension.
Sous-titre évoquerait plutôt le cinéma. Muet, ses scènes étaient explicitées par des intertitres, puis peu à peu, par des sous-titres plus petits et mieux répartis.
Le cinéma parlant, lui, utilise les sous-titres comme une traduction, qui appauvrit souvent le sens original, ne restitue pas toujours bien l’expérience.
« Oh oui, oh oui ! »
Peut-on sous-titrer des sensations ? Pour un.e malentendant.e ou un sourd.e, le sous-titre devient-il sur-titre ?
En cherchant sur Internet des infos relatives au sous-titrage pour malentendant.e.s., j’étais tombée sur un article où un traducteur expliquait comment il avait eu à sous-titrer un film porno pour public sourd.e.
Cela avait fait naître des tas d’interrogations sur la sexualité des malentendant.e.s versus celle des entendants.e.s, au sujet de l’érotisation des sons ou des paroles.
Et pour les entendant.e.s, cette érotisation lors du rapport sexuel est tellement genrée et standardisée … [« oh oui, oh oui ! », etc.] Existe-t-il autant de films ou l’homme soit filmé hurlant, lors de l’extase finale, que pour les femmes ? A part pour des publics homos ?
A quand cela pouvait-il bien remonter ? Avant la captation audiovisuelle, il y avait la captation sonore, et encore avant, il y avait la littérature, et avant le littérature, il y avait la figuration, des vases grecs aux fresques de Pompeï, tout ça, toujours enregistré, filmé, écrit, modelé, peint par … des hommes.
Pour s’en affranchir, il faudra sans doute quelques générations. Mais avec Youporn, XTube, Pornhub et tout le bastringue, la bataille s’avère inégale.
Lost in translation
Doit on tout sous-titrer, même ce qui est inaudible ?
Ceux qui lisent sur les lèvres détiennent normalement le secret de « Soleil vert », dévoilé dans une scène bien avant le dénouement final.
Au cinéma, dans la littérature comme dans la vie, la traduction d’un texte dans une autre langue est tout sauf anodine ! Avec les algorithmes de Google, traducteur.trice ou sous-titreur.treuse entrent dans la catégorie des métiers en voie de disparition (en plus d’être mal payés).
Eh oui, les IA hantent nos vies, hantent nos nuits. Comme dans « The Thing », tapies dans l’ombre, elles nous sautent à la gueule pour aliéner nos facultés !
La dernière fourberie en date et non des moindres, était l’affaire Cambridge Analytica. Où comment des milliers d’internautes s’étaient laissé.e.s séduire par des tests psycho et avaient donné à la maline société l’accès à leur compte Facebook, et par là même, accès aux données de toutes leurs relations. Ainsi, la société avait pu analyser les profils, faire du ciblage et matraquer de contenus les internautes pour influer dans la campagne électorale au profit de Trump.
D’après wikipédia : « Les benshi (弁士 ou katsudo-benshi活動弁士) commentaient les films, lisaient les intertitres (pour un public largement analphabète) et énonçaient les dialogues des acteurs durant la diffusion à l’époque du cinéma muet au Japon.
Les textes étaient inventés par les benshi pour l’occasion et se substituaient à l’autonomie narrative du film : le benshi pouvait même raconter une histoire très différente, selon les besoins, à partir d’un même film. Certains d’entre eux étaient très populaires et parfois plus connus que les réalisateurs ou acteurs des films qu’ils commentaient. »
Pour « sous-titre », j’ai imaginé un futur où les internautes se verraient proposer des versions personnalisées de films, composées en fonction des données collectées sur leurs comportements et leurs personnalités supposées. Pour les influencer, ou simplement les contenter, les conforter dans leur « bulle de filtre », pour qu’ils continuent à acheter ou à voter …
Ainsi, dans l’esprit d’exercices de style, j’ai créé quatre versions sous-titrées du film Scarface(*) [les 8 premières minutes seulement !], correspondant à quatre typologies de personnalités.
A vous de trouver lesquelles ! [cliquer ICI pour commencer]
(L’idée était d’utiliser un algorithme créé par Tomylamarave, qui aurait interchangé des adjectifs, compléments d’objet, etc. avec leurs équivalents dans le champ lexical personnalisé. Mais par manque de temps, j’ai eu recours à ma propre intelligence)
Toi aussi, créé tes propres Scarface à partir du STFR original ! soustitre_scarface_fr
(*) « En 1932, Howard Hawks décrit le destin tragique d’un gangster balafré, Scarface. Mais l’autorité de censure hollywoodienne, chargée du respect du code Hays, estime que le film glorifie la violence. Le film doit être distribué avec ce sous-titre : « La honte de la nation ». Cinquante ans plus tard, la censure n’existe plus et Brian De Palma peut baptiser son remake Scarface, tout simplement. »
~~~~~~
Merci de leur aide 🙂 : le tandem quizeur Gaëtan-Arthur, et Ben, le SAV temps-réel.
François Perea, « Éléments du pathos pornographique », Questions de communication [En ligne], 26 | 2014, mis en ligne le 31 décembre 2016. URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/9245 ; DOI : 10.4000/questionsdecommunication.9245 et interview ici.
Pour ce mois de juin, pas de thème voté mais le choix de jouer les gatecrasher à la soirée buvette Ping-pong des Ateliers du vent, en fin de mois. Nous y incarnerions d’ « autres surprises », annoncées laconiquement dans le programme déjà édité.
Le Ping-pong, encore un sport auquel je ne trouve ni sens ni intérêt (et vice-versa). En plus, la balle est bien trop légère ! D’ailleurs, comment cette petite chose immaculée et démoniaque est-elle construite ?
De spherae mundi
Une fantastique vidéo permet d’entrevoir un art alors insoupçonné, une technologie de pointe doublée d’une science d’orfèvre, pour obtenir le graal de la balle de ping-pong : la qualité 3 étoiles de compétition !
La petite pastille plate de cellulose, au bout d’une suite de métamorphoses et sous l’œil des experts en qualité, va acquérir sa perfection sphérique. Vers les 10 minutes de la vidéo, les balles subissent une série de tests, glissant sur telle rampe, roulant sur tel plateau, pour départager le bon grain de l’ivraie.
J’ai eu envie de m’attacher à cette sélection, à ce petit défaut qui orienterait vers un destin plus ou moins qualitatif. Pour leur développement psychomoteur, on apprend aux enfants à reconnaître les formes, le rond dans le rond, le triangle dans le triangle. C’est sans doute à l’occasion de tels jeux que l’on détecte les petites choses qui « clochent » chez le bambin qui ne sera pas « comme les autres ».
J’ai d’abord eu l’idée de balles qui auraient des difformités et donc des parcours déviants.
Comme dans un circuit de billes, il aurait pu y avoir des rampes, des tunnels, des trous, dans lesquels les balles passeraient plus ou moins bien.
Prophéties
Des questions de normes, j’ai vite progressé vers l’algorithme de sélection, puisque ceux-ci vont avoir un rôle de plus en plus prépondérant dans nos vies. Prestations sociales, impôts, justice, administration … L’ « aide à la décision » sera algorithmique, ou ne sera pas !
En ces temps de passage de brevet et de bac, c’est de « Parcoursup » que je me suis inspirée pour élaborer un algorithme prédictif en carton.
Celui-ci comporte une série de variables à sélectionner au moyen d’un curseur :
-> genre , mobilité, goût et couleur, habitat, animal, humeur, vie privée, vie numérique. Les choix y sont, par nature, limités et arbitraires.
La balle est introduite dans l’ « input ». Grâce à des mécanismes internes, elle prend une direction dans un sens ou l’autre selon une arborescence qui peut la conduire vers 8 possibilités : Oui : destin idéal avec une carrière d’avenir Non : mode échec avec un métier socialement minable Oui, si (remise à niveau) : vous devez rejouer pour espérer gagner le « oui » En attente : coincé jusqu’à ce qu’un autre joueur fasse la prédiction Ni oui ni non : destin insipide Gagner : vous allez gagner quelque chose … Perdre : vous allez perdre quelque chose … Dollar : il faut passer à la caisse !
La balle tombe dans un compartiment (OUTPUT) contenant des petits papiers, il faut en tirer un.
Consulter ici la liste des métiers et destinées :ClasseurACL
La fabrication du Prédipong n’a pas été facile ! Il a néanmoins été conçu et usiné en France, aux ateliers de Chavagne-les-bains (35), bénéficiant d’un savoir faire de haute imprécision (*).
Algorithmie foireuse
Prédipong est un algorithme foireux, dans le sens qu’il a été conçu pour être convivial : il fonctionne idéalement avec un.e médiateur.trice humain.e en mode « foire » :
Pendant la soirée de restitution (buvette Ping-pong), j’ai revêtu mon costume d’ingénieure prestidigipongiste en qualité de vie (**) sur lequel j’ai collé des expressions et vocabulaire du ping-pong.
Les participant-e-s ont été nombreux-ses et se sont prêté-e-s au jeu de la sélection des variables (certaines étaient factices !) avec beaucoup d’attention.
J’ai été amusée de voir la récurrence de certains choix. Le but était de susciter la discussion et le débat, mais ce soir là, le temps était plutôt à la fête !
Au delà du mécanisme, les participant-e-s étaient assez excité-e-s par les résultats et malgré leur loufoquerie, certain-e-s y ont trouvé de troublantes coïncidences…
~~~~~
(*) Un grand merci à Ben pour son aide et son soutien moral
(**) Organigramme de la soirée régi par Agathe
Cette comptine n’a pas bercé mon enfance et elle me met profondément mal à l’aise. J’ai mis les 3 semaines du cycle à comprendre pourquoi.
#Malaise
D’abord, son côté répétitif m’a conduit à l’idée d’automatisme, de robot. Puis il y a la question du temps, de l’heure. Et la voix de l’horloge parlante a ressurgi de ma mémoire.
L’horloge parlante, c’est une voix enregistrée que l’on appelle par téléphone en composant le 36 99 et qui annonce qu’ « au quatrième top, il sera exactement tip, tip, tip, tip, X heure, X minutes et X secondes… »
C’était rigolo, mais pas très interactif. Un peu comme la dictée magique, un jeu des années 80 avec une voix de synthèse qui dictait les mots que l’enfant devait épeler sur le clavier.
Nous, on lui faisait dire « KK O GPT AAAA » ! C’était rigolo.
Alors, et si madame Persil n’était pas une botte (de persil), mais UN bot ? Un chatbot ou agent conversationnel, vous savez, Siri, Cortana, Alexa, etc. Ces nouvelles ami(e)s qui doivent nous rendre plus productifs, plus augmentés, booster la relation client, heu .. usager ? …Et bannir ce silence et cette putain de solitude.
Il y a des enfants qui demandent à Siri « Dis Siri, est-ce que tu m’aimes ? » Alors, on est bien assez cons pour leur demander l’heure !
Mais finalement, demander l’heure à un machine, quoi de plus naturel ? C’est une mesure du temps, une abstraction et pour mesurer, il faut un instrument. Pas de technique, pas d’heure !
Je reviens sur le malaise. Si vous me demandez si je vais bien, et que je me tourne vers mon voisin en lui disant « ouais ça va », sans même un regard pour vous, n’est-ce pas d’une violence inouïe ? Ce déni d’altérité humain s’étend naturellement aux machines que les hommes font à leur image.
#Violence
Revenons aux chatbots. Si l’on a un petit accent, ils ne nous comprennent pas. Or, ils peuplent nos vies, des voitures aux entrepôts automatisés où celui qui n’est pas compris par la machine ne sera pas recruté. Mais derrière ces objets, il y a des centaines d’humains en coulisse, payés pour écouter et améliorer les requêtes confiées au creux du microphone… Malgré les progrès de la technologie, c’est encore à nous de nous conformer et de standardiser notre langue.
En 2017, le labo FAIR de Facebook a fait converser deux bots dressés à marchander des biens. Les robots se sont mis à tourner en boucle dans un dialogue peut-être compréhensible d’eux, mais complètement barré pour nous.
Alors, ne vaudrait-il pas mieux parler leur langue, trouver une sorte d’esperanto entre les humains et les machines ?
Libérons-nous de notre humanité si pesante, si honteuse, si responsabilitante. Notre désir d’être robot est si intense !
Au 18e siècle, le baron Von Kempelen fit sensation dans les salons avec un automate turc joueur d’échecs. Jusqu’à ce que l’on découvre qu’il y avait un petit humain caché dans la table, actionnant ce qui n’était qu’une marionnette.
– : – : –
Ecoutez la récente tentative de dialogue d’une humaine vers l’agent conversationnel Madame Persil :
Pour mettre en scène ce (non)dialogue lors de la restitution publique, j’ai utilisé les codes de la convivialité avec deux personnes attablées face à face. Mais il s’agirait également d’une nature morte, une vanité.
L’humain est assis face à Madame Persil [une boîte de lessive Persil]. On entend la voix de l’humain essayant désespérément d’établir un contact. D’un geste automatique, il verse de l’eau dans le verre de son alter ego technologique … qui ne le remercie pas.
Toujours en clin d’œil à l’automate turc, il y a sur la table une pièce de jeu d’échec, le cavalier. Il y a aussi une apple croquée.
Arrivée en cours de route aux ACL, j’ai pris connaissance du thème « masse critique » dans le fil de la discussion entre les participants du jour : Agathe, Mitch, Thomas, Samuel.
Ce thème ne m’évoquait pas grand-chose.
Dans nos discussions, il est question de changement d’état en physique, de grand silence avant explosion, de basculement, de goutte qui fait déborder le vase, de mouvement social, d’émotions, d’influence…
Samuel nous montre la vidéo d’un garçon qui danse seul à un concert en plein air et qui, progressivement, est rejoint par un puis deux danseurs, jusqu’à créer le buzz et finir entourés d’ une foule en délire.
Cet instant où l’on passe d’un statut peu enviable socialement -seul, ridicule, etc.-, au statut d’influenceur est fascinant. Provoquer des applaudissements, un rassemblement, un action collective, n’est-ce pas grisant ? Mais on peut aussi se vautrer, et c’est la honte.
A cet instant, l’individu passe également du remarquable et remarqué à l’invisible. L’influenceur est aussitôt absorbé et dilué dans la masse. La masse acquiert alors sa force.
J’ai parcouru quelques articles de Wikipédia sur la masse critique, ce mouvement collectif de cyclistes qui s’imposent dans les rues par leur nombre, et viendrait de Chine (les cyclistes étant obligés de forcer le passage des automobilistes). Il y a aussi l’article sur l’influence sociale, des théories contradictoires sur l’engagement, la dilution de la responsabilité dès que l’on est plusieurs…
Je recherchais dans ma mémoire un événement historique qui impliquerait un homme en situation de provoquer une « masse critique ». C’est la figure ultra-iconique de l’homme de la place Tian’ anmen qui s’est imposée, bien que cet homme (surnommé Tank man) qui s’interpose seul face aux chars de l’armée chinoise, n’est justement rejoint par personne. La masse critique apparaît d’abord comme face à lui, mais elle bascule en lui.
Je me suis demandée comment jouer avec cette image de l’Histoire, la rejouer, avec ironie peut-être, face à la situation bien plus légère du teufeur dansant.
Le lendemain, j’ai lu par hasard un article dans Le Monde sur la collaboration et l’entraide (ou pas) dans les jeux vidéos. Comme la gamification est tendance, je me suis dit que si on transformait cette scène un jeu, peut-être que des joueurs voudraient venir rejoindre le tank man, lui prêter main forte ou bien au contraire, lui rouler un bon coup dessus. Peut-être faudrait-il des enfants, qui ignorent tout de cette histoire (autant que de jeunes chinois), et on testerait s’ils sont influencés par les actions des autres joueurs ? …
Bref, je n’ai pas réalisé cet étrange projet. Mais j’ai réalisé un prototype de vidéo du tank man où il est rejoint par une foule solidaire et dansante, qui ne sont rien d’autre que ses propres clones (ou mèmes).
J’avais à l’esprit un film d’animation que j’aime bien, Tango (1980).
Ce prototype m’a pris un temps considérable pour un résultat très artisanal du fait ma totale découverte d’un logiciel qui plante environ toutes les 2 minutes (Kdenlive), et des tutos sur youtube que j’ai du avaler. Mais cela correspond à mon idée de tank men dansants 🙂
J’ai ensuite découvert que l’artiste Deborah Kelly a réalisé en 2009 une performance sur cette ‘danse’ : le panzer mann tango !
—
En savoir plus : Tank Man, documentaire historique. Production SBS, 52 min.