Dédale 31

Je n’étais pas « en présentiel » pour le vote. J’ai voté par sms, car dans leur grande modernité, les ACL sont dématérialisés et peuvent être suivis à distance pour qui dispose d’un smartphone.
Le vote du jour fut orchestré par Samuel à l’aide du jeu de cartes créé lors d’un précédent ACL (voir restitution « masse critique »).
Voter… On se prend au jeu puis on est toujours déçu.e et on se dit « mais pourquoi j’ai voté ça ? ». J’ai donc permis à « passage secret » de remporter le suffrage alors que mite-ou-mythe me plaisait aussi (voir le texte d’Agathe pour « masse critique »).

Sur les deux premières séances, nous avons passé pas mal de temps à décortiquer ce que nous évoquait le thème « passage secret ». Le thème s’avérait assez riche et l’espace dans lequel nous étions, la salle Magenta, inspirait déjà des idées.

L’idée est ensuite venue de faire vivre nos différentes propositions au sein d’un parcours, à travers la figure du train fantôme, proposée par Thomas.

De ma première vision du passage secret comme une sortie, une échappatoire, j’y ai agrégé d’autres et notamment celle du labyrinthe et la figure du mythe que Gaëtan avait évoqué (Ariane, Dédale).

#Mythou

Mes obsessions et interrogations du moment m’ont menées tout naturellement vers la figure de Dédale, l’Inventeur, le Démiurge qui incarne la Technè. Parce que j’ai été formée à un métier scientifique et technique de préservation d’artefacts humains, je m’interroge sur la technique et la transmission (passage du secret ;), perpétuation, vie) -ou pas- (perte, oubli, disparition), sur sa nécessité -ou pas-, sa nature, etc.
Le récit a donc une grande importance pour moi. Les histoires aussi, on m’en a beaucoup lu. Je me suis demandée à quoi pourrait bien ressembler le mythe de Dédale et d’Icare, au XXIè siècle.

A quelle sauce storytelling bullshit pourrait-on bien accommoder ces pauvres scories de notre vielle humanité ?

Tu ne voleras point

Et j’ai beaucoup volé. Mais surtout en rêve. Et je suis loin d’être la seule alors ça me plaisait bien de retrouver Icare et mes vieux souvenirs d’histoire de l’art avec le tableau de Brueghel, La chute d’Icare.
En voulant s’élever au dessus de leur condition humaine, Dédale et Icare se sont rendus coupables d’hybris, oh, ils n’auraient pas dû !

A. Tarkovski, extrait d’Andrei Roublev (1966)

Frantz Reichelt, l’homme oiseau de la tour Eiffel (1912)

Life is an escape game

Il paraît que c’est le loisir préféré des français d’être enfermé. Moi ça ne m’étonne pas trop. Ça me parle beaucoup même ! Le labyrinthe est un symbole puissant qui peut résonner plus ou moins fort dans nos vies… bref, l’idée d’une mise en scène, la catharsis, tout ça tout ça, y avait de quoi faire un bon gloubi-boulga défoulatoire.

Car le monde se divise en deux catégories

Mais dans mon mythe 2.0, Icare ne voudrait surtout pas s’échapper par les airs. Non non non, pas fou le génération Y, il va pas écouter son vieux schnock de père qui veut l’envoyer direct au plouf !

Il voudrait s’échapper … en creusant. Car j’ai aussi pratiqué la spéléo, et pas qu’en rêve. Et j’ai adoré creuser ! (enfin, pas trop longtemps quand même).

Mais certain.e.s, plus malin.e.s que les autres, ont su avoir le pistolet chargé, voler et creuser en même temps ! De furieux cambrioleurs de banques ont défrayé la chronique en volant via un sous-terrain, le contenu des coffres de la Sté Générale de Nice. Allant même jusqu’à y déposer d’arrogants petits mots (« ni coup de feu, ni violence, ni haine… »).

Le gang des égoûtiers, le fric-frac du siècle en 1976 (vidéo INA)

D’autres choisissent résolument la méthode aérienne pour s’enfuir ou faire s’enfuir de prison. Trop facile avec Google maps et Google street view ! Tout comme le labyrinthe, le panoptique est resté furieusement tendance.

« Les nouvelles ne sont pas bonnes » [capture d’écran issue des images tournees à Mantes-la-Jolie le 6 décembre 2018]
Réaliser des captures d’écran en gros plan des prisons de Rennes (des femmes en centre ville, des hommes à Vezin) ou du centre de rétention administrative (CRA) de Saint-Jacques-de-la-Lande, à côté de l’aéroport, ne pose aucune difficulté.

Si c’est gratuit, c’est toi le produit

Outils d’aliénation, outils d’émancipation, bref, de tout cela j’ai fait un gros paquet et ça tombait super bien, à quelques jours de Noël.

Mise en scène :
Faire s’asseoir les gens. D’abord être en mode conte, la veillée, le coin du feu, la grotte, l’ancestral, le mythe quoi.
Éteindre la lumière pour plonger le cercle dans le noir. Pour cela j’avais prévu d’être équipée de ma combi et casque de spéléo. Bon, j’ai gardé que le casque qui éclaire d’une flamme à l’acétylène.

(clichés Camille B.)

Ensuite, commencer à raconter l’histoire de Dédale et Icare en mode conte classique raconté aux enfants. « Il était une fois, en Crète, heu, en Grèce… » Ne pas arriver à se souvenir, ne plus être très sûre de pas se tromper (ce qui m’arrive très souvent, mais qui est aussi le résultat de l’ externalisation massive de notre propre mémoire). S’agacer « P** mais c’est une histoire hyper connue !!! Arh, vous savez, le passage secret, en fait, eh bein, c’était le ciel… ! Arh, je retrouve pas !… » Interroger le public : « quelqu’un a un smartphone, quelqu’un a Google, quelqu’un a Wikipedia ?! »

Rallumer la lumière. Enlever le casque de spéléo.
« Ah ça y est !  » Mettre un casque micro et passer en mode TED talks. Et si on n’a pas de video projecteur pour son power-point (comme ici), on rétrograde en mode paper board.

C’est l’histoire d’un mec …

A la fin, faire visiter le DédaLabFab, « musée-boutique » dans lequel sont exposés des ailes imprimées, des outils, qui sont par ailleurs à vendre (absence d’imprimante 3D, prêtée au Qatar), des produits dérivés, etc. On peut ainsi y acheter des cartes postales, des chocolats en forme d’aile. NB : je n’ai pas eu le temps de faire des bougies, des savons et autres goodies qui fondent …

Le mur du DédaLabFab reconstitué d’après nos sources archéologiques

Des ailes en vrai chocolat
Pas cher !

Merci <3 <3 à Camille, autrice du reportage photo.

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D’autres liens :

Restitution « Passage secret »

Restitution du mercredi 19 décembre où le RDV4C couture emprunte les passages secrets des ACL

Quelques images (clichés Samuel Bausson et Camille B.)

1 labyrinthe, 5 énigmes, 1 issue

 

Passage de secret(s)

 

Une énigme sonore à résoudre

 

Visite du DédaLabfab, dès qu’on aura éteint la lumière
Le rendez-vous 4C couture en action

Cycle aux #RDV4C

Un temps joyeux pour bidouiller ensemble avec du son, du numérique, des images, des mots et tout ce qui vous fait envie, à partir d’un thème choisi.

thème voté pour le cycle : "passage secret"
Choix du thème : le fameux ouvre bouteille des ACL entre en scène
Scéance de Pilates-brainstorming

Les Rendez-vous 4C : Créativité – Collaboration – Connaissances – Citoyenneté. Les rendez-vous coopératifs aux Champs Libres, où les participants se retrouvent autour d’un intérêt commun, décident ensemble de ce qu’ils font et de la façon de le faire.

Les RDV4C sont ouverts à tous, gratuits et sans inscriptions. Les curieux sont les bienvenus et les participants sont libres de venir quand ils le souhaitent.

Mercredis 14,  21,  28 novembre et mercredis 5 , 12 décembre

Restitution publique le mercredi 19 décembre !

19h, salle Magenta, accès boulevard Magenta, Rennes.

///  Entrée Libre ///

Accès

Contact : 02 23 40 66 00, 4c@leschampslibres.fr, https://lesrdv4c.tumblr.com/

Tank man ou le tango de la masse critique

Arrivée en cours de route aux ACL, j’ai pris connaissance du thème « masse critique » dans le fil de la discussion entre les participants du jour : Agathe, Mitch, Thomas, Samuel.

Ce thème ne m’évoquait pas grand-chose.

Dans nos discussions, il est question de changement d’état en physique, de grand silence avant explosion, de basculement, de goutte qui fait déborder le vase, de mouvement social, d’émotions, d’influence…

Samuel nous montre la vidéo d’un garçon qui danse seul à un concert en plein air et qui, progressivement, est rejoint par un puis deux danseurs, jusqu’à créer le buzz et finir entourés d’ une foule en délire.

Cet instant où l’on passe d’un statut peu enviable socialement  -seul, ridicule, etc.-, au statut d’influenceur est fascinant. Provoquer des applaudissements, un rassemblement, un action collective, n’est-ce pas grisant ? Mais on peut aussi se vautrer, et c’est la honte.

A cet instant, l’individu passe également du remarquable et remarqué à l’invisible. L’influenceur est aussitôt absorbé et dilué dans la masse. La masse acquiert alors sa force.

J’ai parcouru quelques articles de Wikipédia sur la masse critique, ce mouvement collectif de cyclistes qui s’imposent dans les rues par leur nombre, et viendrait de Chine (les cyclistes étant obligés de forcer le passage des automobilistes). Il y a aussi l’article sur l’influence sociale, des théories contradictoires sur l’engagement, la dilution de la responsabilité dès que l’on est plusieurs…

Je recherchais dans ma mémoire un événement historique qui impliquerait un homme en situation de provoquer une « masse critique ». C’est la figure ultra-iconique de l’homme de la place Tian’ anmen qui s’est imposée, bien que cet homme (surnommé Tank man) qui s’interpose seul face aux chars de l’armée chinoise, n’est justement rejoint par personne. La masse critique apparaît d’abord comme face à lui, mais elle bascule en lui.

Je me suis demandée comment jouer avec cette image de l’Histoire, la rejouer, avec ironie peut-être, face à la situation bien plus légère du teufeur dansant.

Le lendemain, j’ai lu par hasard un article dans Le Monde sur la collaboration et l’entraide (ou pas) dans les jeux vidéos. Comme la gamification est tendance, je me suis dit que si on transformait cette scène un jeu, peut-être que des joueurs voudraient venir rejoindre le tank man, lui prêter main forte ou bien au contraire, lui rouler un bon coup dessus. Peut-être faudrait-il des enfants, qui ignorent tout de cette histoire (autant que de jeunes chinois), et on testerait s’ils sont influencés par les actions des autres joueurs ? …

Bref, je n’ai pas réalisé cet étrange projet. Mais j’ai réalisé un prototype de vidéo du tank man où il est rejoint par une foule solidaire et dansante, qui ne sont rien d’autre que ses propres clones (ou mèmes).

J’avais à l’esprit un film d’animation que j’aime bien, Tango (1980).

Ce prototype m’a pris un temps considérable pour un résultat très artisanal du fait ma totale découverte d’un logiciel qui plante environ toutes les 2 minutes (Kdenlive), et des tutos sur youtube que j’ai du avaler. Mais cela correspond à mon idée de tank men dansants 🙂

Qui mème me suive !

J’ai ensuite découvert que l’artiste Deborah Kelly a réalisé en 2009 une performance sur cette ‘danse’ : le panzer mann tango !

Panzer mann tango (D. Kelly)

En savoir plus : Tank Man, documentaire historique. Production SBS, 52 min.

Comme un légo : https://www.youtube.com/watch?v=oocjXDEhux4

Musica ! : https://www.youtube.com/watch?v=9yIxK3F1Q2c