La comptine du déni

Création de : Ben

Quelle heure est-il ? Madame Persil.
Midi moins le quart. Madame Placard.
Vous en êtes sûre? Madame Chaussure.
Assurément. Madame Piment.

Le thème de ce mois-ci est donc une comptine pour enfant. Premièrement lorsque je pense à une comptine la première qui me vient à l’esprit est « 3 petits chats ». Mais si vous savez: « 3 petits chats, 3 petits chats, 3 petits chats, chats chats. Chapeau d’paille, chapeau d’paille, chapeau d’paille, paille paille. Paillasson, paillason, paillasson, son son …. « , et ainsi de suite jusqu’à former une boucle et on recommence à 0. Et bin du coup, je me suis mis en tête de poursuivre la comptine de notre thème pour en faire une boucle aussi.

Alors, comment faire? Et bin on va commencer par déconstruire ce que l’on connait pour reconstruire le tout. Dans notre comptine initiale on a :

  • La forme: 2 parties -> 1 vers + 1 Madame quelque-chose (vous noterez à part, jamais de Monsieur). Ainsi qu’une alternation de Questions/Réponses
  • Le rythme: chaque vers fait 4 pieds
  • Les rimes: ici on a 2 formes de rimes. D’abord, les classiques entre le nom de la Madame et le dernier mot du vers. Ensuite les rimes structurelles , souvenez-vous de vos cours de CP/CE1, les rimes « AABB », « ABBA » … . Et bin ici, on peut décemment dire que l’on est sur du « ABBA », avec les « Madame … ». Et pour ceux il faut regarder ce qu’il y a après Madame. Dans le 1er et le dernier cas on a un condiment, dans le 2ème et 3ème on a un objet.
  • Le champ lexical: langage enfantin.

Ok, maintenant que l’on a tout ça voici ce que j’ai réalisé :

Quelle heure est-il ? Madame Persil.
Midi moins le quart. Madame Placard.
Vous en êtes sûre? Madame Chaussure.
Assurément. Madame Piment.
Etes-vous pressée? Madame Prostitué.
Non, pas vraiment trop. Madame Pavot.
Que devez-vous faire? Madame Primevert.
Faire mon sac à dos. Madame Gigolo.
Ou allez-vous comme ça? Madame Caca.
Je vais à la piscine. Madame Cocaïne.
Au faites, et votre ainée? Madame LSD.
Mariée avec un ovni. Ma Dame Pipi.
15 ans, c’est pas un peu tôt?! Madame Abricot.
Bof, la dotte était dodue. Madame Cul.
Attendez, il a payé ?! Madame Périnée.
Non mais, de quoi je me mêle. Madame Mirabelle.
Vous avez vendu votre ainée! Madame Tarée.
Non mais, c’est pas la votre que j’sache! Madame Vache.
Vous êtes une conne, tout pour l’argent! Madame Serpent.
Je vous emmerde et je me casse! Madame Pétasse.
Hey? Madame Zé.
Zut! Madame Yut.
Quelle heure est-il ? Madame Persil.
Midi moins le quart. Madame Placard.
Vous en êtes sûre? Madame Chaussure.
Assurément. Madame Piment.
Etes-vous pressée? Madame Prostitué.
Non, pas vraiment trop. Madame Pavot.
Que devez-vous faire? Madame Primevert.
…..
….

..
.

Illusions-nous

Au bout de quelques lectures de la comptine, j’ai eux une première impression sur les objets, je me suis dis que ces personnes ont des noms d’objets… L’étymologie des noms de famille faisant sens par le passé avec l’activité qu’on excercait, j’ai donc pensé premièrement à la personnification. Ce fameux procédé narratif où l’on donne vit humaine à un objet…

Puis, j’ai pensé à l’idolâtrie dans la bible, au veau d’or, cet idole représentatif du paganisme, du matériel, je me suis dis, là aussi il y a quelque chose à faire, comment imaginer le culte de l’objet aujourd’hui ?

En ce sens, je voulais plutôt excercer une inversion de la personnification : c’est à dire : la réification. C’est le procédé inverse, où l’on représente les personnes en objet. Donc il s’agirait de matérialiser notre idolâtrie actuelle en l’incarnant soit même, comme par exemple en devenant sa propre voiture…

C’est là que les copains des ACL m’ont renvoyé à la belle et la bête de Cocteau où les servant ont été transformé en objet quand le maléfice est tombé sur la bête et sa demeure, ca m’a pas mal fait travaillé… J’avais un début de quelques choses sur mon concept : créer un contexte autour de la transformation d’une personne en objet. Mais quel objet ? La bête, la voiture ou du persil ?  J’ai donc commencé à expérimenter, j’ai essayé dans un premier temps d’enfermer des personnes dans des objets avec cinema 4D, ca donnait des résulats bizarres, la forme de notre corps cohabitant difficilement avec celle d’un objet… J’ai ensuite essayé d’enfermer une image de la bête dans un bol puis dans une poubelle, je n’étais pas convaincu par la mise en application trop plate à mon sens… Je commençais à patiner, et finalement je me suis dis que c’était plus des exemples d’application que véritablement le fondement de ce que je voulais expérimenter…

Sauf qu’entre temps, je suis tombé sur une photo sur fb de Sammy Stein, un plasticien qui était sur une brocante près de Bruxelles. Ce dernier a trouvé un coffret de K7 audio scientologues « La route vers l’infini » avec un descriptif saisissant qui parle de se transformer en n’importe quoi, en glacière ou en Cadillac, passionnant ! Sauf qu’il était impossible de récupérer le coffret vu la distance et Sammy ne les avait pas encore écoutées. Donc je me suis donc dis qu’il me fallait recréer le contexte et les conditions de cette transformation, concrètement que les gens puissent vivre la mise en condition d’une expérience de réification et non procéder à son expérience.

Rien de tel pour cela qu’un discours sur l’au delà, l’infini et la puissance de l’esprit… J’ai donc regardé plusieurs vidéos scientologues et m’en suis inspiré pour écrire. Enfin, j’ai souhaité donner une dimension plus « actuelle » d’un homme de religion. J’ai trouvé un chat-bot idéal pour jouer le rôle de ce narrateur-coacher : il s’appellait Robert… Robert s’est donc mis à prêcher un discours prosélytique sur la réification comme moyen d’arriver à faire le vide en soi, comme si le corps n’était qu’une enveloppe physique, une coquille dans laquelle l’esprit serait enfermé et dont il faudrait arriver à s’extraire pour accéder à une vie meilleure. Comme quoi devenir une glacière, ca rafraîchit l’esprit…

Par ce brouillon, je vois que je m’intéresse davantage à la liturgie contemporaine, aux religions de rechange se basant de vieilles croyances et notamment à la manière dont ces religions ont été digérées par syncrétisme.

 

Chatbot site  : http://www.oddcast.com/home/demos/tts/tts_example.php?sitepal

Quel leurre est-il madame Persil ?

–! Warning, explicit quadra content !–

botte de persil

Cette comptine n’a pas bercé mon enfance et elle me met profondément mal à l’aise. J’ai mis les 3 semaines du cycle à comprendre pourquoi.

 

On a mangé de la pizza au persil tous les mercredis
Certaines étaient meilleures que d’autres

 

 

 

 

 

 

#Malaise

D’abord, son côté répétitif m’a conduit à l’idée d’automatisme, de robot. Puis il y a la question du temps, de l’heure. Et la voix de l’horloge parlante a ressurgi de ma mémoire.

L’horloge parlante, c’est une voix enregistrée que l’on appelle par téléphone en composant le 36 99 et qui annonce qu’ « au quatrième top, il sera exactement tip, tip, tip, tip, X heure, X minutes et X secondes… »

C’était rigolo, mais pas très interactif. Un peu comme la dictée magique, un jeu des années 80 avec une voix de synthèse qui dictait les mots que l’enfant devait épeler sur le clavier.

pub-dictee-magique

Nous, on lui faisait dire « KK O GPT AAAA » ! C’était rigolo.

Alors, et si madame Persil n’était pas une botte (de persil), mais UN bot ? Un chatbot ou agent conversationnel, vous savez, Siri, Cortana, Alexa, etc. Ces nouvelles ami(e)s qui doivent nous rendre plus productifs, plus augmentés, booster la relation client, heu .. usager ? …Et bannir ce silence et cette putain de solitude.

Il y a des enfants qui demandent à Siri « Dis Siri, est-ce que tu m’aimes ? » Alors, on est bien assez cons pour leur demander l’heure !

Mais finalement, demander l’heure à un machine, quoi de plus naturel ? C’est une mesure du temps, une abstraction et pour mesurer, il faut un instrument. Pas de technique, pas d’heure !

Je reviens sur le malaise. Si vous me demandez si je vais bien, et que je me tourne vers mon voisin en lui disant « ouais ça va », sans même un regard pour vous, n’est-ce pas d’une violence inouïe ? Ce déni d’altérité humain s’étend naturellement aux machines que les hommes font à leur image.

#Violence

Revenons aux chatbots. Si l’on a un petit accent, ils ne nous comprennent pas. Or, ils peuplent nos vies, des voitures aux entrepôts automatisés où celui qui n’est pas compris par la machine ne sera pas recruté. Mais derrière ces objets, il y a des centaines d’humains en coulisse, payés pour écouter et améliorer les requêtes confiées au creux du microphone… Malgré les progrès de la technologie, c’est encore à nous de nous conformer et de standardiser notre langue.

En 2017, le labo FAIR de Facebook a fait converser deux bots dressés à marchander des biens. Les robots se sont mis à tourner en boucle dans un dialogue peut-être compréhensible d’eux, mais complètement barré pour nous.

Alice et Bob partent en sucette

Alors, ne vaudrait-il pas mieux parler leur langue, trouver une sorte d’esperanto entre les humains et les machines ?

Libérons-nous de notre humanité si pesante, si honteuse, si responsabilitante. Notre désir d’être robot est si intense !

Au 18e siècle, le baron Von Kempelen fit sensation dans les salons avec un automate turc joueur d’échecs. Jusqu’à ce que l’on découvre qu’il y avait un petit humain caché dans la table, actionnant ce qui n’était qu’une marionnette.

turc mecanique
via Wikimedia Commons – domaine public

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Ecoutez la récente tentative de dialogue d’une humaine vers l’agent conversationnel Madame Persil :

Pour mettre en scène ce (non)dialogue lors de la restitution publique, j’ai utilisé les codes de la convivialité avec deux personnes attablées face à face. Mais il s’agirait également d’une nature morte, une vanité.

L’humain est assis face à Madame Persil [une boîte de lessive Persil]. On entend la voix de l’humain essayant désespérément d’établir un contact. D’un geste automatique, il verse de l’eau  dans le verre de son alter ego technologique … qui ne le remercie pas.

Toujours en clin d’œil à l’automate turc, il y a sur la table une pièce de jeu d’échec, le cavalier. Il y a aussi une apple croquée.

Cette table cligne de l’œil à d’autres tables : celle, perverse, de Heidi (de Kelley et MacCarthy), pour le #malaise ; celle des possibilités du dialogue (de Jan Svankmajer), celle des Joueurs de cartes (de Cézanne) et combien d’autres encore !

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D’autres liens :

– Le logiciel libre Audacity avec lequel j’ai créé le son, dans ma cuisine

-Es-tu un bon chasseur de répliquant ? « Bot or not ? » http://botpoet.com/

-Frédéric Kaplan, Capitalisme linguistique : https://fkaplan.wordpress.com/2011/09/07/google-et-le-capitalisme-linguistique/

A quoi nous mène la honte prométhéenne ? (Mais où va le web?)

-Comment le Kosovo a hacké notre heure : https://www.connaissancedesenergies.org/le-kosovo-et-lheure-de-votre-radio-reveil-180309